BIEN-ÊTRE BLA BLA BLA

Le jour où mon frère a quitté la maison

Un beau jour, mon frère aîné a vidé sa chambre. Il est parti avec son linge, son bureau que j’ai envié si longtemps, ses outils, ses mille paires de bottes, toutes ses affaires. Je suis restée là. À voir sa chambre vide face à la mienne, comme l’écho de sa présence.

On parle tout le temps du vide que ressentent les parents quand leurs enfants quittent la maison. Mais le blues qui m’a assaillie le jour où mon frère est parti, je ne m’y attendais pas. Pourtant, il n’est pas parti d’un coup: tranquillement, il s’est mis à passer de plus en plus de temps chez sa blonde, à apporter des affaires à chaque fois. Je me doutais bien qu’un jour, il ne dormirait plus du tout à la maison. Qu’un jour, il ferait son changement d’adresse et qu’on arrêterait de recevoir ses magazines en anglais par la poste.

Ça n’avait pas l’air vraiment réel, pour moi, jusqu’à ce que son bureau disparaisse.

Ce jour-là, je n’osais pas regarder sa chambre. Je me sentais fragile. Ébranlée.

Je n’ai jamais vécu sans mon frère. Quand j’étais petite, c’était mon ami le plus proche. On a joué ensemble longtemps, au moins jusqu’à mes onze ans. Quand on était ados, on allait jouer au tennis les jours de vacances. Quand il a eu sa première voiture (un vieux pick-up gris mangé par la rouille qui n’a pas tenu un an), il venait me chercher à la polyvalente. J’étais si fière. On mettait la musique à fond, du Robbie Williams ou du Jesse Cook, et on partait tous les deux comme si on était les maîtres du monde. Quand j’étais au cégep, on embarquait dans sa petite Aveo et on allait magasiner à Québec. On mangeait de la crème glacée chez Laura Secord (de la Superkid, s’il vous plaît), et tout était parfait.

Ski avec Oli

Mon frère et moi au retour d’une balade en ski. Photo François Gobeil.

Et aujourd’hui, il est parti. Je ne le vois plus systématiquement quand j’arrive de Québec; parfois, je passe deux ou trois semaines sans le voir. Ça ne devrait pas me troubler plus que ça, mais des fois, je trouve ça dur. Je m’ennuie de le voir assis à l’ordinateur en train d’écouter une série et de rire aux éclats même si ça fait mille fois qu’il écoute le même épisode. Je m’ennuie de lui voler une poignée de chips au vinaigre devant la télé le vendredi soir -les seules fois où je mangeais des chips au vinaigre, c’est quand il m’en offrait. J’en prenais, juste quelques-unes, parce que ça ne goûtait pas pareil avec lui. Quand il n’est pas là, je n’en mange pas.

Je sais que c’est une étape normale de la vie. Je savais bien qu’un jour il partirait, mais ça semblait tellement loin dans ma tête.

Savoir qu’une chose est normale ne la rend pas plus facile à accepter.

Des fois, il m’invite à aller prendre un café. Genre « Tu viendras chez nous, quand tu voudras. »

Je n’y vais pas.

Je n’y pense pas.

C’est comme si je croyais qu’il allait débarquer un beau jour et faire « Hey, ma soeur, viens-tu? ».

Mais ce n’est plus comme ça que ça marche. Il faut faire des efforts, maintenant, pour se voir. Des efforts auxquels je ne suis pas habituée, auxquels je ne pense même pas.

Il faudra bien que je m’habitue. Il faut que j’apprenne à le partager.

C’est pas facile, parce qu’on ne m’avait pas prévenue que ça ferait mal. Mais à la longue, ça s’atténue.

De toute façon, mon frère sera toujours mon frère, même s’il n’habite plus chez nous.

C’est ça le plus important.

Anne-Sophie

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1 Comment

  • Reply
    Isaure la Perruche
    janvier 29, 2018 at 6:35

    Tout pareil, quand mes frères sont partis « au compte gouttes », j’ai eu bien du mal… Nos premiers amis ces belles personnes :’)

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