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Au commencement, il y eut un plan d’affaires

Je suis le genre de personne qui planifie tout et n’importe quoi. Je fais mon lavage le samedi, pas le dimanche. Je prévois mes déplacements Québec-Montréal un mois à l’avance et mon agenda me rappelle que, chaque mercredi, je dois nettoyer la cage de mon lapin de 19 h à 19 h 30. Et si par malheur je dépasse un peu, je capote un brin, parce que ça empiète sur le temps consacré à l’épicerie.

Ça fait que quand mon prof d’entrepreneuriat nous a annoncé qu’on allait devoir produire un plan d’affaires dans le cadre de son cours, étape par étape, du début jusqu’à la fin de la session, je jubilais. Étude de marché, analyse de la concurrence, plan marketing… ces mots-là, qui en ont incité plusieurs à lâcher le cours, me réconfortaient comme une beurrée de Nutella au lendemain d’une rupture. J’allais consigner dans un beau petit document imprimé et boudiné tous les renseignements sur lesquels j’allais pouvoir m’appuyer pour les mois à venir. Pas de surprises, pas d’imprévus. Alléluia.

Alors je me suis lancée. J’ai établi une grille tarifaire. J’ai fixé mes objectifs à court et à moyen terme. Je me suis longuement attardée à la mission de mon entreprise, qui devait tenir sur 5-6 lignes, pas plus.

La mission de Jelar communications, entreprise individuelle de services langagiers, est de contribuer à rehausser l’image des petites, moyennes et grandes entreprises de même que celle des organismes publics, parapublics et gouvernementaux de la région de Québec grâce à une offre de services professionnels et personnalisés dans les domaines de la rédaction, de la révision linguistique et de la traduction de l’anglais au français.

J’ai trouvé des données chiffrées super crédibles pour appuyer mes prévisions financières. J’ai dressé un portrait ultra précis de ma clientèle cible. J’ai créé un beau petit sondage pour évaluer l’intérêt de cette clientèle envers mes services. Une trentaine de chefs d’entreprises et de responsables des communications de diverses organisations y ont répondu. J’étais pas mal fière.

Que reste-t-il aujourd’hui de ce travail d’orfèvre auquel on a attribué une note quasi parfaite? Pour être honnête, pas grand-chose.

En mai dernier, j’ai repris contact avec les sept clients potentiels ayant affirmé qu’il était probable ou très probable qu’ils aient recours à mes services une fois mon entreprise officiellement lancée. Si mon enthousiasme était à son comble, je me gardais bien de me faire des illusions. Je savais qu’il était hautement improbable que les sept clients en question explosent de joie et me bombardent de travail en me remerciant de leur sauver la mise. Mais je me disais qu’il n’était pas déraisonnable de penser que certains d’entre eux, deux ou trois peut-être, se souviendraient de la jeune entrepreneure qui leur avait fait parvenir un sondage un mois et demi plus tôt et lui refileraient quelques mandats.

Combien ont réellement donné suite à mes courriels et à mes appels? Pas un seul. Zéro pis une barre.

Du coup, ça chamboulait mes plans, et c’est peu de le dire. Si la liste de clients potentiels prenait le bord, la grille tarifaire et les prévisions financières aussi. J’allais devoir me résoudre à faire ce que font la plupart des traducteurs indépendants en début de carrière : me tourner vers les agences de traduction, ces intermédiaires entre les pigistes et les donneurs d’ouvrage. Le hic, avec les agences, c’est qu’elles imposent leurs tarifs. Le pigiste peut tenter de négocier, mais c’est souvent perdu d’avance. Bonjour les surprises, allô les imprévus.

Mon prof serait-il tenté de réviser à la baisse la note qu’il a attribuée à mon travail s’il savait que pas mal tout le contenu de mon plan d’affaires est aujourd’hui caduc? C’est une question que je me pose parfois. J’aime penser qu’il aurait plutôt le réflexe de me féliciter. Mes clients actuels ne sont pas ceux que j’avais imaginés, c’est vrai. Et alors? J’ai réussi à changer mon fusil d’épaule. Mon chiffre d’affaires est plus modeste qu’il aurait dû l’être; soit. Toujours est-il que, moins d’un an après son lancement, Jelar communications génère suffisamment de revenus pour permettre à son unique propriétaire de payer le loyer et de régler les factures. Pour la poule mouillée que je suis, c’est plutôt rassurant.

Il y a ça de beau dans le fait de travailler à son compte : affronter quotidiennement cette peur de l’inconnu qui nous assaille trop souvent. Accepter qu’on ne peut pas tout prévoir, et se dire que c’est bien correct comme ça. Se laisser porter par la vague lorsque l’inattendu survient, sans se poser trop de questions. Je me dis de plus en plus qu’au fond, les entrepreneurs qui réussissent ne sont peut-être pas ceux qui savent exactement ce qu’ils feront dans six mois ou dans un an, mais bien ceux qui savent accueillir à bras ouverts ce que demain leur réserve.

Jenny

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