Il est 20h au TNM, heure d’hiver et de soleil couche-tôt. La salle est comble et le silence se forme au moment où la scène plonge dans le noir et que la salle reste éclairée par les mêmes lanternes qu’à leur arrivée. Tous eux, ici réunis, pour assister à la représentation de Jocaste reine de Nancy Huston, mise en scène par Lorraine Pintal. Un homme s’avance dans l’allée du côté cour. Veston gris. Cravate grise. Narrateur.
Il introduit l’histoire d’Oedipe, qu’il s’amusera à interrompre, à questionner et à confronter tout au long du spectacle. Tout le monde connait l’histoire d’Oedipe. Du moins, le complexe portant le même nom. Un enfant dont la pulsion sexuelle se condense en amour pour le parent du sexe opposé? Un fils à qui l’Oracle prédit qu’il tuera son père et «baisera» sa mère. Il fuit donc son royaume qu’il ignore adoptif et part errer vers les contrées qu’il ignore d’origine. Sur son chemin, il croise un homme hautain et arrogant qu’il assassine de colère et de haine. Cet homme, son père qu’il n’a jamais connu. Et voilà, des milliers d’années plus tard, Nancy Huston se fout complètement de cet homme. Elle nous présente la femme, la mère incestueuse.
Jocaste étale son amour dans tout ce qu’il a de plus profond et de plus vrai, comme la chaleur d’une mère pour son fils, le besoin d’une femme pour son époux et le désir d’un sexe pour son meilleur coup. Jocaste et son histoire d’enfant vendue à Laïos, un roi d’un mauvais brutal et d’une violence d’alcool, une enfant-mère dont le premier poupon lui a été arraché du sein après trois jours seulement. Premier enfant disparu à jamais, pour toujours.
Et nous, spectateurs, qui connaissons l’histoire, celle du fils davantage que celle de sa génitrice. Nous qui savons déjà qu’il reviendra, qui savons l’inceste mais qui l’écoutons être narré comme la pureté divine, la beauté immaculée, la fragilité chaste et vorace, un peu sauvage même. Il est jeune, il lui prend les seins et fait l’éloge de ces sept orifices dont les deux supérieurs, tunnels de jouissance éternelle. Elle vieillit, elle lui voue une fervente exaltation et a porté ses quatre enfants, offrandes et miracles pour tous deux. On est gêné au départ, fasciné surtout. Et nous assis aux côtés de nos pères ou de nos mères réfléchissant beaucoup, sans malaise car nous avons tous passé l’âge. Pourtant, pour avoir eu quatre enfants et avoir vu sa femme vieillir, Oedipe a largement dû passer l’âge.
Et Jocaste, à qui Nancy Huston a donné la parole, fait bon usage de cette plate-forme, cette estrade. Elle – Louise Marleau – est convaincante, crédible. L’inceste crédible, oui. Son discours sur la maternité rince le vice du geste. La musique et le chant de Claire Gignac ajoute à la poésie de la mise en scène, elle est le commencement tout comme la continuité de chaque acte. Le noeud de la pièce est poignant parce qu’il provient des tripes, du coeur, du sexe – des organes que tout le monde possède. Ils font tous honneur à ce mythe que Freud a installé dans tous les foyers des jeunes familles. Trois fois bravo pour ce coup de théâtre connu.
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