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Le syndrome de l’imposteur

La pigiste que je suis a vécu de grands bouleversements au cours des dernières semaines. J’avais pris goût au linge mou, aux siestes de milieu d’après-midi et aux demandes urgentes qui me donnaient une si belle excuse pour ne pas avoir à sortir les soirs de semaine, mais voilà qu’une belle occasion d’emploi m’a été offerte sur un plateau d’argent. Je n’ai pas trop réfléchi, et j’ai dit oui.

Mais tout de suite après, mes radars internes se sont allumés. Qu’on m’offre un truc de fou comme ça, sans que j’aie bûché comme une malade pour l’obtenir, c’est beaucoup trop inhabituel pour être normal. Beaucoup trop beau pour être vrai. J’ai donc cherché le loup, parce que forcément, il devait y en avoir un.

J’ai posé des questions embarrassantes, à commencer par la suivante : pourquoi moi? Bon, là, on oublie la réplique classique qui pourrait en amener certains à me répondre : pourquoi pas toi? Je pourrais facilement trouver cinquante-six réponses, plus ou moins valables, à cette question. Mais on m’a fourni une belle poignée de contre-arguments, et je me suis dit que, pour cette fois, ça serait suffisant.

Toujours est-il que depuis, pas une journée ne passe sans que je me demande ce que je pourrais faire pour prouver qu’on a eu raison de me choisir moi plutôt que qui que ce soit d’autre. Après tout, des langagiers chevronnés et talentueux, il y en a des tas, et ces professionnels-là n’ont pas eu la même chance que moi. Voilà que, sans même m’en rendre compte, je venais de me faire assaillir par le syndrome de l’imposteur.

Ce fameux syndrome consiste essentiellement à attribuer ses succès à tout, sauf à son mérite personnel. J’ai obtenu une promotion au travail? Forcément, c’est que personne d’autre n’en voulait. On a glorifié le contenu de mon mémoire de maîtrise? Les évaluateurs n’étaient pas très sévères et, de toute façon, ma conseillère de rédaction m’avait dit grosso modo quoi écrire, alors au fond, cette réussite, elle ne m’appartient pas vraiment.

Je ne sais pas s’il existe une recette miracle pour faire taire cet imposteur interne qui se plaît à essayer de nous faire croire que ce n’est surtout pas parce qu’on est hot en maudit qu’on a du succès, mais s’il en est une, je la cherche encore. En attendant de la trouver, je me suis dit que ça ne coûtait rien d’essayer un petit truc que j’ai pris soin de noter à la suite d’une conférence pour le moins inspirante à laquelle j’ai assisté récemment.

Ça s’appelle la règle des cinq secondes. En gros, cette règle stipule que le secret du bonheur réside dans le fait de prendre nos décisions importantes en fonction de nos réactions spontanées, soit celles qui font surface dans les cinq secondes après qu’une situation impliquant un choix s’est manifestée. Ces réactions, intuitives, sont celles du cœur. Au-delà de ce délai, c’est la tête qui se met à parler, et la tête, on le sait, elle est bien bonne pour nous raisonner et, ce faisant, réveiller notre imposteur interne. Suivre la règle des cinq secondes n’aurait pas pour effet de le faire taire, mais bien de le remettre à sa place lorsque sa présence n’est pas absolument nécessaire.

C’est un peu ça que j’ai fait quand j’ai décidé d’aller de l’avant avec l’emploi qui m’a été offert. Dans les cinq premières secondes, je me suis dit : vas-y, fille, t’es capable. Puis, le mental s’est mis de la partie, et les doutes ont surgi. Oui mais Jenny, va falloir que tu intègres une équipe, et tu le sais que tu n’es pas une fille d’équipe. Va falloir que tu exprimes tes idées, et toi, t’es bonne pour écrire, pas pour parler. Et tes siestes de l’après-midi, elles? Y as-tu pensé?

C’est vrai que le changement est brutal et très déstabilisant. Le pire, c’est les bus bondés aux heures de pointe qui me font vraiment regretter le confort de mes pantoufles. Néanmoins, j’ai le sentiment de contribuer à un projet des plus valorisants, et les membres de mon équipe sont nettement moins intimidants que ce que j’avais pu imaginer. Et je ne vous dis pas le bonheur de retrouver mon linge mou en fin de journée.

Jenny xx

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